D’un océan à l’autre
Depuis dimanche 28 janvier peu après 1 heure du matin, Charles Caudrelier et le Maxi Edmond de Rothschild ouvrent la voie de l’Arkea Ultim Challenge Brest dans l’océan Pacifique, la plus vaste étendue liquide de la planète. Dans cette dernière valse à haute vitesse au pays de l’ombre, un enjeu majeur : arriver indemne au cap Horn.
Nouveau temps de référence

Il est entré dans l’océan Indien comme une fleur, à la faveur d’un scénario rêvé par les chasseurs de records, « de ceux que l’on recherche pour un Trophée Jules Verne : une dépression au large du Brésil qui vous emmène le plus loin possible avec un vent stable, une mer acceptable. C’était presque idyllique », raconte Erwan Israël, un des trois membres de la cellule routage de l’écurie Gitana*. « C’étaient des conditions correctes », rectifie Charles Caudrelier juste avant de claquer la porte à cet océan tant redouté, avec en poche un nouveau chrono de référence.

Le géant aux cinq flèches aura transpercé l’Indien en 8 jours, 8 heures 20 minutes et 36 secondes, soit une vitesse moyenne de 30,7 nœuds pour parcourir 6 113 milles** entre le cap des Aiguilles et le 146° 55' de longitude Est, au sud de la Tasmanie. Des chiffres impressionnants qui font de ces marins les nouveaux conquérants de l’espace et du temps, mais qui en disent peu sur l’austérité et la difficulté de la vie à bord des grands multicoques volants, aujourd’hui plus rapides en haute mer que toute autre embarcation motorisée. À bord, les mouvements brusques et permanents transforment chaque geste en défi quotidien, chaque intervention pour bricoler en exploit. La moindre manœuvre est une épreuve de force, sans parler du stress, lorsque les conditions sont mauvaises et le risque de chavirage présent, qui empêche parfois de trouver le sommeil. Replacez le tout dans un contexte d’isolement quasi total…

Soudain seul

D’autant qu’aux prémices de l’Indien, casses et arrêts au stand ont laissé Charles Caudrelier réellement seul au monde, loin devant ses adversaires. La course, qu’il mène en tête depuis le 17 janvier, a donc pris un nouveau visage : celui du compromis. « On plafonne la vitesse à 30-32 nœuds quand la mer est trop forte et on opte pour des réglages tolérants. Le but est de minimiser les impacts pour ne pas abîmer le bateau, mais aussi d’économiser l’énergie de Charles, de lui simplifier la vie », précise Erwan Israël. La méthode consiste à freiner les ardeurs du grand trimaran bleu mais aussi, parfois, celles d’un marin ultra perfectionniste, peu habitué à verser dans la demi-mesure. « Il m’arrive de m’énerver avec la météo ou quand les trajectoires ne sont pas parfaites. C’est assez particulier, je suis dans la gestion complète de la course, et je n’ai pas l’habitude de ça », admet-il.

Un stress en chasse un autre

Le haut niveau de tension vécu en Atlantique Sud pendant le corps à corps à grande vitesse avec Tom Laperche, a cédé la place à d’autres préoccupations : sortir indemne du tunnel gris des mers australes, de ses paysages austères et de ses vents tempétueux. « Ce sont des endroits où la navigation est éreintante, où il faut être fort dans sa tête (…) Alors je me fiche un peu de battre des records, je veux surtout arriver au cap Horn avec un bateau en bon état », confie Charles dans un message envoyé hier, dimanche 28 janvier. Il lui reste encore le plus vaste océan de la planète à effacer.

Pacifique express

À la sortie du détroit qui porte son nom, le navigateur portugais Magellan avait débouché sur des eaux paisibles, et baptisé ainsi cet espace maritime nouvellement découvert : Pacifique. Le Maxi Edmond de Rothschild y a fait irruption aux premières heures du dimanche 28 janvier, dans des conditions favorables elles aussi. A priori, les éléments seront avec lui pendant les 6 000 milles de navigation vers la pointe de l’Amérique du Sud. « Du vent de Nord-Ouest assez fort va nous pousser tout droit dans le bon sens », prévoit le skipper. « Ce sera une route idéale à l’avant d’un front, quasiment jusqu’au milieu du Pacifique, autrement dit, des milles rapides dans la bonne direction », confirme Erwan Israël. Ensuite, la situation météo se complique un peu, et l’atmosphère se refroidira sensiblement aux abords de la ZEA, par 58 degrés sud. 

En attendant, le marin de 49 ans qui n’avait jamais passé autant de temps seul en mer s’est pris à l’exercice et mène le Maxi Edmond de Rothschild à la perfection, malgré les doutes et les petits coups de fatigue. « J’ai l’énergie du premier, ça aide à se surpasser ».

* Avec Benjamin Schwartz et Julien Villion
**Distance réellement parcourue par le Maxi Edmond de Rothschild

Texte rédigé par Camille El Beze

Classement du lundi 29 janvier, au pointage de 15h : 

1)  Maxi Edmond de Rothschild  - Charles Caudrelier

2) Sodebo Ultim 3 - Thomas Coville - à 2 526 milles du leader
3) Maxi Banque Populaire XI - Armel Le Cléac'h - à 2 839,7 milles du leader
4) Actual Ultim 3 - Anthony Marchand - à 5 638,3 milles du leader 
5) Ultim Adagio - Eric Peron - à 6 559,2 milles du leader
6) SVR Lazartigue - Tom Laperche - Abandon

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